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LE MANOIR D’HABERVILLE.

sans fin avec le curé de la paroisse, sur un vers d’Horace, d’Ovide ou de Virgile, ses auteurs favoris. Le curé, d’une humeur douce et pacifique, cédait presque toujours, de guerre lasse, à son terrible antagoniste. Mais mon oncle Raoul se piquait aussi d’être un grand théologien : ce qui mettait le pauvre curé dans un grand embarras. Il tenait beaucoup à l’âme de son ami, assez mauvais sujet pendant sa jeunesse, et qu’il avait eu beaucoup de peine à mettre dans la bonne voie. Il lui fallait pourtant céder quelquefois des points peu essentiels au salut du cher oncle, crainte de l’exaspérer. Mais dans les points importants, il appelait à son secours Blanche, qui était l’idole de son oncle.

— Comment, mon cher oncle, disait-elle en lui faisant une caresse, n’êtes-vous pas déjà assez savant, sans empiéter sur les attributs de notre bon pasteur ? Vous triomphez sur tous les autres points de discussion, ajoutait-elle en regardant finement le bon curé, soyez donc généreux, et laissez-vous convaincre sur des points qui sont spécialement du ressort des ministres de Dieu.

Et comme mon oncle Raoul ne discutait que pour le plaisir de la controverse, la paix se faisait aussitôt entre les parties belligérantes.

Ce n’était pas un personnage de minime importance que mon oncle Raoul : c’était, au contraire, à certains égards, le personnage le plus important du manoir, depuis qu’il était retiré de l’armée ; car le capitaine, que le service militaire obligeait à de longues absences, se reposait entièrement sur lui du soin de ses affaires. Ses occupations étaient, certes, très nombreuses : il tenait les livres de recettes et de