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— Quoique vous manquiez assez insolemment aux règles de la subordination, Jean Leblanc, et surtout aux lois du pays qui vous défendent d’entrer de nuit dans mon domicile, pour que je me croie autorisé à vous brûler la cervelle (en ce moment je me saisis de mes deux pistolets), « je veux bien vous donner satisfaction pour mon alcôve. Il y a quelqu’un dans mon lit. » Ah ! ah ! s’écria la troupe, nous y voilà. »

Je m’appuyai contre l’alcôve, mes pistolets tournés sur les assaillans. « Il y a quelqu’un dans mon lit, il y a une femme, dont le nom et la vue sont interdits à quiconque de vous n’est pas pressé de mourir à l’heure même. Cependant, pour complaire, de tout mon pouvoir, à l’ardeur patriotique de Jean Leblanc, je lui permets d’entrer ici avec moi et de reconnaître aux cheveux et à la main le sexe du prétendu émigré que je dérobe à vos poursuites. Si quelqu’un ose l’y suivre, je le tue. — Il n’en faut pas davantage, reprit Jean Leblanc intimidé, qui ne désirait guères moins que moi de voir son expédition mise à fin. — « Citoyens, restez dehors » —Couvre-toi de ton fichu et de tes cheveux, dis-je en ouvrant l’alcôve ! et montre ton bras nu à ce héros… Regarde, Jean Leblanc, est-ce là un émigré ? — Bonté du ciel, reprit-il en riant à son tour à gorge déployée, plût à Dieu qu’ils fussent tous comme celui-ci, les damnés d’aristrocrates et de chouans ! la paix serait bientôt faite, au moins de mon côté. Mais n’êtes-vous pas, mon officier, un fier hypocrite, à votre âge, de débaucher ainsi la fleur de nos belles, sans avoir l’air d’y toucher ? On ne m’y tromperait mordieu pas, continua-t-il à mon oreille, c’est cette pauvre Jeannette du chemin des Paluds que vous avez endoctrinée de vos fines paroles et de vos tons sournois. Je donnerais ma tête à couper que c’est Jeannette la blonde, car il n’y a pas à dix lieues autour du Puy, femme qui ait le bras si délicat et d’aussi beaux cheveux, si ce n’est mademoiselle Christ ! »… A cette réticence, dont la témérité l’épouvantait lui-même, il se mordit le doigt.