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Maintes fois survint la veille de nuit leur enjoindre de ne point mener si grand tapage après le soleil couché. Ha, ils l’écoutaient bien respectueusement et semblant tout confits en repentance de leur faute ; ils disaient leurs meâ culpâ ; entretandis, ils lui donnaient à boire tant amplement que la pauvre veille issant hors, s’en allait faire sa ronde contre quelque mur et là ronflait comme viole. Eux poursuivaient leurs buveries et lourds sommeils, ce dont les dolentes épousées, ne cessaient de se lamenter. Et ainsi pendant un mois et quatre jours.

Mais le grand mal était que le bon duc avait guerroyé avec monseigneur de Flandres et que nonobstant que la paix fût faite ; il restait encore sur pied, une bande de faquins et ribauds, gâtant le pays et robbant le bonhomme.

Ladite bande était commandée par un farouche capitaine nommé la Dent de fer, pource que sus son casque était une dent longue, aiguë, tranchante, dent de diable ou d’oliphant d’enfer, sculptée fantastiquement. En la mêlée, il donnait souventefois de la tête avec icelle dent comme bélier. Ainsi furent occis moult braves soudards en la duché de Brabant.

La Dent de fer était accoutumé venir de nuit faire son coup ès villages, égorgeant sans merci les pauvres bourgeois ensommeillés, emportant bijoux, vaisselle, femmes et filles, mais les jeunes seulement. Quant aux vieilles, il les laissait en vie, disant qu’il ne les lui fallait point occire, attendu qu’elles mourraient bien de peur, sans aide.


XI.


Or une nuit où luisaient seulement aucunes étoiles et un petit la lune, accourut, courant le grand pas, à Uccle, maître André Bredael, tout épuisé de souffle.

Il venait donner avis, qu’étant d’aventure caché derrière un buisson le long de la route de Paris, il avait ouï passer une troupe d’hommes laquelle il pensait être celle de la Dent de fer, car il avait vu le casque du maroufle.

Cependant que les brigands étaient arrêtés sur le chemin pour soi repaître, il leur avait ouï dire qu’ils s’en allaient de ce pas à Uccle quérir bon butin et faire grand chère, mais qu’il leur fallait quitter la grand route pour les petits chemins, afin de n’être point signalés. — Maître Bredael pensait qu’ils déboucheraient derrière l’église.

Étant ainsi instruit, il était venu à Uccle par la route de Paris, devançant les brigands de bien une demi lieue et voulant avertir les bourgeois de se bien armer pour recevoir ces malvoulus fermement.

Doncques il s’en vint frapper à la porte de la maison de la commune pour y faire sonner la cloche ; mais nul n’ouvrit, car le garde étant frère de la Bonne Trogne, dormait comme les autres vaillants hommes. André Bredael chercha autre moyen. — Doncques il cria si fort par les rues : Au feu ! au feu ! Brand ! brand ! que toutes femmes, vieux hommes et enfants s’éveillèrent en sursaut.

André Bredael s’étant bien fait connaître, les supplia de descendre sur la place, ce qu’elles firent. Les voyant toutes près de lui, il leur prédit la proche venue de la Dent de fer, et enjoignit à chacune d’aller éveiller son mari.

Las, monsieur dirent-elles toutes, c’est chose impossible, car depuis longtemps jà, ils sont comme morts la nuit, et à peine, si l’ange de Dieu venait,