Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

robe tintait à un coude pointu un grelot doré. Il avait des souliers à patins dorés & un grelot au bout de chaque patin.

Son âne était caparaçonné de soie cramoiſie, & portait sur chaque cuiſſe l’écu d’Anvers brodé en or fin.

Le valet agitait d’une main une tête d’âne & de l’autre un rameau au bout duquel tintinabulait une clarine de vache foreſtière.

Ulenſpiegel, laiſſant dans la rue son valet & son âne, monta dans la gouttière.

Là, agitant ses grelots, il ouvrit les bras tout grands comme s’il allait voler. Puis se penchant vers le roi Philippe, il dit :

— Je croyais qu’il n’y avait de fou à Anvers que moi, mais je vois que la ville en eſt pleine. Si vous m’aviez dit que vous alliez voler, je ne l’aurais pas cru ; mais qu’un fou vienne vous dire qu’il le fera, vous le croyez. Comment voulez-vous que je vole, puiſque je n’ai pas d’ailes ?

Les uns riaient, les autres juraient, mais tous diſaient :

— Ce fou dit pourtant la vérité.

Mais le roi Philippe demeura raide comme un roi de pierre.

Et ceux de la commune s’entre-dirent tout bas :

— Pas beſoin n’était de faire de si grands feſtoiements pour une si aigre trogne.

Et ils donnèrent trois florins à Ulenſpiegel, qui s’en fut, leur ayant de force rendu la robe de soie cramoiſie.

— Qu’eſt-ce que trois florins dans la poche d’un jeune gars, sinon un boulet de neige devant le feu, une bouteille pleine vis-à-vis de vous, buveurs au large goſier ? Trois florins ! Les feuilles tombent des arbres & y repouſſent, mais les florins sortent des poches & n’y rentrent jamais ; les papillons s’envolent avec l’été, & les florins auſſi, quoiqu’ils pèſent deux eſtrelins & neuf as.

Et ce diſant, Ulenſpiegel regardait bien ses trois florins.

« Quelle fière mine, murmurait-il, a sur l’avers l’empereur Charles cuiraſſé, encaſqué, tenant un glaive d’une main & de l’autre le globe de ce pauvre monde ! Il eſt, par la grâce de Dieu, empereur des Romains, roi d’Eſpagne, etc., & il eſt bien gracieux pour nos pays, l’empereur cuiraſſé. Et voici sur le revers un écu où se voient gravées les armes de duc, comte, etc., de ses différentes poſſeſſions, avec cette belle légende : Da mihi virtutem contra hoſtes tuos : « Baille-moi vaillance contre tes ennemis. » Il