Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le bourreau lui mit alors des linges mouillés sur la poitrine, le ventre & les jambes, puis levant le banc, il lui verſa de l’eau chaude dans l’eſtomac en si grande quantité qu’elle parut toute gonflée. Puis il laiſſa retomber le banc.

L’échevin demanda à Katheline si elle voulait avouer son crime. Elle fit signe que non. Le bourreau verſa encore de l’eau chaude, mais Katheline la vomit toute.

Alors, de l’avis du chirurgien, elle fut déliée. Elle ne parlait point, mais se frappait la poitrine pour dire que l’eau chaude l’avait brûlée. Quand l’échevin la vit repoſée de cette première torture, il lui dit :

— Avoue que tu es sorcière, & que tu as jeté un charme sur la vache.

— Je n’avouerai point, dit-elle. J’aime toutes bêtes, tant qu’il eſt au pouvoir de mon faible cœur, & je me ferais plutôt mal à moi qu’à elles, qui ne se peuvent défendre. J’ai employé pour guérir la vache les simples qu’il faut.

Mais l’échevin :

— Tu lui as donné du poiſon, dit-il, car la vache eſt morte.

— Monſieur l’échevin, répondit Katheline, je suis ici devant vous, en votre pouvoir : j’oſe vous dire, toutefois, qu’un animal peut mourir de maladie comme un homme, malgré l’aſſiſtance des chirurgiens & médecins. Et je jure par monſeigneur Chriſt qui voulut bien mourir en croix pour nos péchés, que je n’ai voulu nul mal à cette vache, mais bien la guérir par simples remèdes.

L’échevin dit alors furieux :

— Cette guenon du diable ne niera point sans ceſſe, qu’on la mette sur un autre banc de torture !

Et il but alors un grand verre de brandevin.

Le bourreau aſſit Katheline sur le couvercle d’un cercueil de chêne poſé sur des tréteaux. Ledit couvercle, fait en forme de toit, était tranchant comme une lame. Un grand feu brûlait dans la cheminée, car on était pour lors en novembre.

Katheline, aſſiſe sur le cercueil & sur une broche en bois aiguë, fut chauſſée de souliers trop étroits en cuir neuf & placée devant le feu. Quand elle sentit le bois tranchant du cercueil & la broche aiguë entrer dans ses chairs, & que la chaleur chauffa & rétrécit le cuir de ses souliers, elle s’écria :

— Je souffre mille douleur ! Qui me donnera du poiſon noir ?