Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jambes trop jeunes. Il ne répondit mot, & comme il se laiſſait choir à côté d’elle, elle voulut le retenir & l’attira sur sa gorge nue, où il demeura si volontiers qu’elle eût cru commettre le péché de cruauté en lui diſant de choiſir un autre oreiller.

Le sommelier revint toutefois & dit qu’il n’avait point trouvé l’aumônière.

— Je la retrouvai, moi, répondit la dame, quand je deſcendis de cheval, car elle s’était, en se dégrafant, accrochée à l’étrier. Maintenant, dit-elle à Ulenſpiegel, mène-nous droitement à Dudzeele & dis-moi comment tu te nommes.

— Mon patron, répondit-il, eſt monſieur saint Thylbert, nom qui veut dire leſte des pieds pour courir aux bonnes choſes ; mon nom eſt Claes & mon surnom eſt Ulenſpiegel. Si vous voulez vous regarder en mon miroir, vous verrez qu’il n’eſt pas, sur toute cette terre de Flandre, une fleur de beauté éclatante comme votre grâce parfumée.

La dame rougit d’aiſe & ne se fâcha point contre Ulenſpiegel.

Et Soetkin & Nele pleuraient pendant cette longue abſence.


XXVII


Quand Ulenſpiegel revint de Dudzeele, il vit à l’entrée de la ville Nele adoſſée à une barrière. Elle égrenait une grappe de raiſin noir. Croquant un à un les grains du fruit, elle en était sans doute rafraîchie & délectée, mais n’en laiſſait paraître nul plaiſir. Elle semblait, au contraire, fâchée & arrachait les grains de la grappe colériquement. Elle était si dolente & avait un viſage si marri, triſte & doux, qu’Ulenſpiegel fut saiſi d’amoureuſe pitié, &, s’avançant derrière elle, lui donna un baiſer sur la nuque.

Mais elle, en retour, lui bailla un grand soufflet.

— Je n’y vois pas plus clair, repartit Ulenſpiegel.

Elle pleurait à sanglots.

— Nele, dit-il, va-t’en maintenant placer les fontaines à l’entrée des villages ?

— Va-t’en ! dit-elle.

— Mais je ne puis m’en aller, si tu pleures comme cela, mignonne.