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les fiers navires, la troupe hardie de marins redoutables : bélîtres, larrons, prêtres-soudards, gentilſhommes, bourgeois & manouvriers fuyant la perſécution. À nous tous unis pour l’œuvre de liberté. Vive le Gueux !

« Philippe, roi de sang, où es-tu ? D’Albe, où es-tu ? Tu cries & blaſphèmes, coiffé du saint chapeau, don du Saint-Père. Battez le tambour de joie. Vive le Gueux ! Buvons.

« Le vin coule dans les calices d’or. Humez le piot joyeuſement. Les habits sacerdotaux couvrant les rudes hommes sont inondés de la rouge liqueur ; les bannières eccléſiaſtiques & romaines flottent au vent. Muſique éternelle ! à vous, fifres glapiſſants, cornemuſes geignant, tambours battant roulements de gloire. Vive le Gueux ! »


XVII


Le monde était pour lors dans le mois du loup, qui eſt le mois de décembre. Une aigre pluie tombait comme des aiguilles dans le flot. Les Gueux croiſaient dans la Zuiderzee. Meſſire l’amiral manda à son de trompette sur son navire les capitaines des houlques & flibots, & enſemble avec eux Ulenſpiegel.

— Or çà, dit-il, parlant d’abord à lui, le prince veut reconnaître tes bons devoirs & féaulx services & te nomme capitaine du navire la Briele. Je t’en remets ici la commiſſion sur parchemin.

— Grâces vous soient rendues, meſſire amiral, répondit Ulenſpiegel ; je capitainerai de tout mon petit pouvoir, & ainſi capitainant, j’ai grand eſpoir, si Dieu m’aide, de décapitainer Eſpagne des pays de Flandre & Hollande : je veux dire de la Zuid & Noord Neerlande.

— Ceci eſt bien, dit l’amiral. Et maintenant, ajouta-t-il parlant à tous, je vous dirai que ceux d’Amſterdam la Catholique vont aſſiéger Enckhuyſe. Ils ne sont pas encore sortis du canal l’Y, croiſons devant pour qu’ils y reſtent, & sus à tout & chacun de leurs navires qui montrera dans la Zuyderzee sa carcaſſe tyrannique.

Ils répondirent :

— Nous les trouerons. Vive le Gueux !