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XIII


Là, de nouveau, Lamme fut joyeux. Il deſcendait volontiers à terre, chaſſant comme lièvres, cerfs & ortolans, les bœufs, moutons & volailles.

Et il n’était pas seul à cette chaſſe nourriſſante. Il faiſait bon alors voir revenir les chaſſeurs, Lamme à leur tête, tirant par les cornes le gros bétail, pouſſant le petit, menant à la baguette des troupeaux d’oies, & portant au bout de leurs gaffes des poules, poulets & chapons nonobſtant la défenſe.

C’était alors nopces & feſtins sur les navires. Et Lamme diſait : L’odeur des sauces monte juſqu’au ciel, y réjouiſſant meſſieurs les anges, qui diſent : C’eſt le meilleur de la viande.

Tandis qu’ils croiſaient, vint une flotte marchande de Liſbonne, dont le commandant ignorait que Fleſſingue fût tombé au pouvoir des Gueux. On lui ordonne de jeter l’ancre, elle eſt enveloppée. Vive le Gueux ! Tambours & fifres sonnent l’abordage ; les marchands ont des canons, des piques, des haches, des arquebuſes.

Balles & boulets pleuvent des navires des Gueux. Leurs arquebuſiers, retranchés autour du grand mât dans leurs fortins de bois, tirent à coup sûr, sans danger. Les marchands tombent comme des mouches.

— À la reſcouſſe ! diſait Ulenſpiegel à Lamme & à Nele, à la reſcouſſe ! Voici des épices, des joyaux, des denrées précieuſes, sucre, muſcade, girofle, gingembre, réaux, ducats, moutons d’or tout brillants. Il y a plus de cinq cent mille pièces. L’Eſpagnol payera les frais de la guerre. Buvons ! Chantons la meſſe des Gueux, c’eſt la bataille.

Et Ulenſpiegel & Lamme couraient partout comme lions. Nele jouait du fifre, à l’abri dans le fortin de bois. Toute la flotte fut priſe.

Les morts ayant été comptés, il y en eut mille du côté des Eſpagnols, trois cents du côté des Gueux ; parmi eux se trouva le maitre-queux du flibot la Briele.

Ulenſpiegel demanda de parler devant Très-Long & les matelots ; ce que Très-Long lui accorda volontiers. Et il leur tint ce diſcours :

— Meſſire capitaine & vous compères, nous venons d’hériter de beaucoup d’épices, & voici Lamme, la bonne bedaine, qui trouve que le pauvre mort qui eſt là, Dieu le tienne en joie, n’était pas aſſez grand docteur en