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— D’autres que nous délivreront la terre de Flandre, répondit Ulenſpiegel. La nuit se fait noire, les soudards allument des torches. Nous sommes près du Champ de Potences. Ô douce aimée, pourquoi m’as-tu suivi ? N’entends-tu plus rien, Nele ?

— Si, dit-elle, un bruit d’armes dans les blés. Et là, au-deſſus de cette côte, surmontant le chemin où nous entrons, vois-tu briller sur l’acier la rouge lueur des torches ? Je vois des points de feu des mèches d’arquebuſe. Nos gardiens dorment-ils, ou sont-ils aveugles ? Entends-tu ce coup de tonnerre ? Vois-tu les Eſpagnols tomber percés de balles ? Entends-tu : Vive le Gueux ! Ils montent courant le sentier, la pique en avant ; ils deſcendent avec des haches le long du coteau. Vive le Gueux !

— Vive le Gueux ! crient Lamme & Ulenſpiegel.

— Tiens, dit Nele, voici des soldats qui nous donnent des armes. Prends, Lamme, prends, mon aimé. Vive le Gueux !

— Vive le Gueux ! crie toute la troupe des priſonniers.

— Les arquebuſiers ne ceſſent point de tirer, dit Nele, ils tombent comme des mouches, éclairés qu’ils sont par la lueur des torches. Vive le Gueux !

— Vive le Gueux ! crie la troupe des sauveurs.

— Vive le Gueux ! crient Ulenſpiegel & les priſonniers. Les Eſpagnols sont dans un cercle de fer. Tue ! tue ! il n’en reſte plus un debout. Tue ! pas de pitié, la guerre sans merci. Et maintenant trouſſons notre bagage & courons juſqu’à Enckhuyſe. Qui a les habits de drap & de soie des bourreaux ? Qui a leurs armes ?

— Tous ! tous ! crient-ils. Vive le Gueux !

Et de fait, ils s’en revont en bateau vers Enckhuyſe, où les Allemands délivrés avec eux demeurèrent pour garder la ville.

Et Lamme, Nele & Ulenſpiegel retrouvent leurs navires. Et de nouveau les voici chantant sur la mer libre : Vive le Gueux !

Et ils croiſent dans la rade de Fleſſingue.