Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Celui qui bat la caiſſe entend le tambour, répondait Ulenſpiegel.

Et les bannières brodées des proceſſions romaines flottaient aux mâts des navires. Et vêtus de velours, de brocart, de soie, de drap d’or & d’argent, tels qu’en ont les abbés aux meſſes solennelles, portant la mitre & la croſſe, buvant le vin des moines, les Gueux faiſaient la garde sur les vaiſſeaux.

Et c’était spectacle étrange de voir sortir de ces riches vêtements ces mains rudes qui portaient l’arquebuſe ou l’arbalète, la hallebarde ou la pique, & tous hommes à la dure trogne, ceints par-deſſus de piſtolets & de coutelas reluiſant au soleil, & buvant dans des calices d’or le vin abbatial devenu le vin de liberté.

Et ils chantaient & ils criaient : « Vive le Gueux ! » & ainſi ils couraient l’Océan & l’Eſcaut.


VIII


En ce temps, les Gueux, parmi leſquels étaient Lamme & Ulenſpiegel, prirent Gorcum. Et ils étaient commandés par le capitaine Marin : ce Marin, qui fut autrefois un manouvrier diguier, se prélaſſait en grande hauteur & suffiſance, & signa avec Gaſpard Turc, défenſeur de Gorcum, une capitulation par laquelle Turc, les moines, les bourgeois & les soldats enfermés dans la citadelle sortiraient librement la balle en bouche, le mouſquet sur l’épaule, avec tout ce qu’ils pourraient porter, sauf que les biens des égliſes reſteraient aux aſſaillants.

Mais le capitaine Marin, sur un ordre de meſſire de Lumey, détint priſonniers les treize moines & laiſſa aller les soudards & bourgeois.

Et Ulenſpiegel dit :

— Parole de soldat doit être parole d’or. Pourquoi manque-t-il à la sienne ?

Un vieux Gueux répondit à Ulenſpiegel :

— Les moines sont des fils de Satan, la lèpre des nations, la honte des pays. Depuis l’arrivée du duc d’Albe, ceux-ci lèvent le nez dans Gorcum. Il en eſt un parmi eux, le prêtre Nicolas, plus fier qu’un paon & plus féroce