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— Mon père creuſe à l’heure qu’il eſt plus profondément les trous de son champ, afin d’y faire tomber de mal en pis les chaſſeurs fouleurs de blé. Ma mère eſt allée emprunter de l’argent : si elle en rend trop peu, ce nous sera honte ; si elle en rend trop, ce nous sera dommage.

L’homme lui demanda alors par où il devait aller.

— Là où sont les oies, répondit Ulenſpiegel.

L’homme s’en fut & revint au moment où Ulenſpiegel faiſait du second soulier de Claes une galère à rameurs.

— Tu m’as trompé, dit-il ; où les oies sont, il n’y a que boues & marais où elles pataugent.

Ulenſpiegel répondit :

— Je ne t’ai point dit d’aller où les oies pataugent, mais où elles cheminent.

— Montre-moi du moins, dit l’homme, un chemin qui aille à Heyſt.

— En Flandre, ce sont les piétons qui vont & non les chemins, répondit Ulenſpiegel.


XVII


Soetkin dit un jour à Claes :

— Mon homme, j’ai l’âme navrée : voilà trois jours que Thyl a quitté la maiſon ; ne sais-tu où il eſt ?

Claes répondit triſtement :

— Il eſt où sont les chiens vagabonds, sur quelque grande route, avec quelques vauriens de son eſpèce. Dieu fut cruel en nous donnant un tel fils. Quand il naquit, je vis en lui la joie de nos vieux jours, un outil de plus dans la maiſon ; je comptais en faire un manouvrier, & le sort méchant en fait un larron & un fainéant.

— Ne sois point si dur, mon homme, dit Soetkin ; notre fils n’ayant que neuf ans, eſt en pleine folie d’enfance. Ne faut-il pas qu’il laiſſe comme les arbres, tomber ses glumes sur le chemin avant de se parer de ses feuilles, qui sont aux arbres populaires honnêteté & vertu ? Il eſt malicieux, je ne l’ignore ; mais sa malice tournera plus tard à son profit, si, au lieu de s’en servir à de méchants tours, il l’emploie à quelque utile métier. Il se gauſſe du prochain volontiers ; mais auſſi plus tard il tiendra bien sa place en