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Le curé dit :

— Puiſque tu as si brave volonté, je veux t’aider.

— Meſſire curé, dit Ulenſpiegel, vous feriez grand bien à moi & au pauvre pays déſolé en allant chez Toria, la mère de la fillette, & chez ses deux frères pareillement pour leur dire que le loup eſt proche & que je veux l’attendre & le tuer.

Le curé dit :

— Si tu ne sais encore sur quel chemin il te faut placer, tiens-toi dans celui qui mène au cimetière. Il eſt entre deux haies de genêts. Deux hommes n’y sauraient marcher de front.

— Je m’y tiendrai, répondit Ulenſpiegel. Et vous, meſſire vaillant curé, coadjuteur de délivrance, ordonnez & mandez à la mère de la fillette, à son mari & à ses frères de se trouver dans l’égliſe, tout armés, avant le couvre-feu. S’ils m’entendent siffler comme la mouette, c’eſt que j’aurai vu le loup-garou. Il leur faut pour lors sonner wacharm à la cloche & me venir à la reſcouſſe. Et s’il eſt quelques autres braves hommes ?…

— Il n’en eſt point, mon fils, répondit le curé. Les pêcheurs craignent plus que la peſte & la mort le weer-wolf. Mais n’y va point.

Ulenſpiegel répondit :

— Les cendres battent sur mon cœur.

Le curé dit alors :

— Je ferai comme tu veux, sois béni. As-tu faim ou soif ?

— Tous les deux, répondit Ulenſpiegel.

Le curé lui donna de la bière, du pain & du fromage.

Ulenſpiegel but, mangea & s’en fut.

Cheminant & levant les yeux, il vit son père Claes en gloire, à côté de Dieu, dans le ciel où brillait la lune claire, & regardait la mer & les nuages, & il entendit le vent tempétueux soufflant d’Angleterre.

— Las ! diſait-il, noirs nuages paſſant rapides, soyez comme Vengeance aux chauſſes de Meurtre. Mer grondante, ciel qui te fais noir comme bouche d’enfer, vagues à l’écume de feu courant sur l’eau sombre, secouant impatientes, fâchées, d’innombrables animaux de feu, bœufs, moutons, chevaux, serpents vous roulant sur le flot ou vous dreſſant en l’air, vomiſſant pluie flamboyante, mer toute noire, ciel noir de deuil, venez avec moi combattre le weer-wolf, méchant meurtrier de fillettes. Et toi, vent qui huïes plaintif dans les ajoncs des dunes & les cordages des navires, tu es la voix des victimes criant vengeance à Dieu qui me soit en aide en cette entrepriſe.