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— Il ne m’a point tuée, dit la Gilline, sautant de son coin & brandiſſant en l’air sa viole. Et elle chanta :

Sanglant était mon rêve,
Le rêve de mon cœur :
Je suis la fille d’Êve
Et de Satan vainqueur.

La Stevenyne & les autres faiſaient mine de pleurer.

— Ne craignez rien, mignonnes, dit Ulenſpiegel, vous êtes si suaves & douces, que l’on aimera, feſtoyera & careſſera partout. À chaque priſe de guerre vous aurez votre part de butin.

— On ne me donnera rien à moi, qui suis vieille, pleura la Stevenyne.

— Un sou par jour, crocodile, dit Ulenſpiegel, car tu seras serve de ces quatre belles filles, tu laveras leurs cottes, draps & chemiſes.

— Moi, seigneur Dieu ! dit-elle.

Ulenſpiegel répondit :

— Tu les as longtemps gouvernées, vivant du profit de leurs corps & les laiſſant pauvres & affamées. Tu peux geindre & braire, il en sera comme je l’ai dit.

Sur ce les quatre filles de rire & de se moquer de la Stevenyne, & de lui dire en tirant la langue :

— À chacun son tour en ce monde. Qui l’aurait dit de Stevenyne l’avare ? Elle travaillera pour nous comme serve. Béni soit le seigneur Ulenſpiegel !

Ulenſpiegel dit alors aux bouchers & à Lamme :

— Videz les caves à vin, prenez l’argent ; il servira à l’entretien de la Stevenyne & des quatre filles.

— Elle grince les dents, la Stevenyne, l’avare, dirent les filles. Tu fus dure, on l’eſt pareillement pour toi. Béni soit le seigneur Ulenſpiegel !

Puis les trois se tournèrent vers la Gilline :

— Tu étais sa fille, son gagne-pain, tu partageais avec elle le fruit de l’infâme eſpionnage. Oſeras-tu bien encore nous frapper & nous injurier, avec ta robe de brocart ? Tu nous mépriſais parce que nous ne portions que de la futaine. Tu n’es vêtue si richement que du sang des victimes. Ôtons-lui sa robe afin qu’elle soit ainſi pareille à nous.

— Je ne le veux point, dit Ulenſpiegel.