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cher pour qu’on les achète, il te dira ce qu’il faut faire de tes armes. Je penſe toutefois qu’il t’ordonnera de paſſer, non sans péril, par le Wahal, la Meuſe ou le Rhin, échangeant les légumes contre des filets à vendre, pour vaguer avec les bateaux de pêche d’Harlingen, où sont beaucoup de matelots connaiſſant le chant de l’alouette ; longer la côte par les Waden, gagner le Lauwer-Zee, échanger les filets contre du fer & du plomb, donner des coſtumes de Marken, de Vlieland ou d’Ameland à tes payſans, te tenir un peu sur les côtes, pêchant & salant ton poiſſon pour le garder & non pour le vendre, car boire frais & guerroyer salé eſt choſe légitime.

— Adoncques, buvons, dit le batelier.

Et ils montèrent sur le pont.

Mais Lamme, braſſant mélancolie :

— Monſieur le batelier, dit-il soudainement, vous avez ici, en votre forge un petit feu si brillant, que pour sûr on y ferait cuire le plus suave des hochepots. Mon goſier eſt altéré de soupe.

— Je te vais rafraîchir, dit l’homme.

Et bientôt il lui servit une soupe graſſe, où il avait fait bouillir une groſſe tranche de jambon salé.

Quand Lamme en eut avalé quelques cuillerées, il dit au batelier :

— La gorge me pèle, la langue me brûle ; ce n’eſt point là du hochepot.

— Boire frais & guerroyer salé, c’était écrit, repartit Ulenſpiegel.

Le batelier remplit donc les hanaps, & dit :

— Je bois à l’alouette, oiſeau de liberté.

Ulenſpiegel dit :

— Je bois au coq, claironnant la guerre.

Lamme dit :

— Je bois à ma femme ; qu’elle n’ait jamais soif, la bonne aimée.

— Tu iras juſqu’à Emden, par la mer du Nord, dit Ulenſpiegel au batelier. Emden nous eſt un refuge.

— La mer eſt grande, dit le batelier.

— Grande pour la bataille, dit Ulenſpiegel

— Dieu eſt avec nous, dit le batelier.

— Qui donc eſt contre nous ? repartit Ulenſpiegel.

— Quand partez-vous ? dit-il.

— Tout de suite, répondit Ulenſpiegel.