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— Je le dénoncerai aux bourgeois, dit Ulenſpiegel, & j’y vais de ce pas, leſte comme un fantôme.

Il y alla, & le lendemain les bourgeois étaient en armes.

Toutefois, Ulenſpiegel & Lamme, ayant mis leurs ânes chez un fermier de Simos Simmſſen, durent se cacher de peur du comte de Meghem qui les faiſait partout chercher pour les faire pendre, car on lui avait dit que deux hérétiques avaient bu de son vin & mangé de sa viande.

Il fut jaloux, le dit à sa belle dame qui grinça les dents de colère, pleura & se pâma dix-sept fois. La coquaſſière fit de même, mais non si souvent, & déclara sur sa part de Paradis & l’éternel salut de son âme qu’elle ni sa dame n’avaient rien fait, sinon de donner les reliefs du dîner à deux pauvres pèlerins qui, montés sur des ânes chétifs, s’étaient arrêtés à la fenêtre de la cuiſine.

Et il fut ce jour-là répandu tant de pleurs que le plancher en était tout humide. Ce que voyant, meſſire de Meghem fut aſſuré qu’elles ne mentaient point.

Lamme n’oſa plus se montrer chez M. de Meghem, car la cuiſinière l’appelait toujours : Ma femme !

Et il était bien dolent, songeant à la nourriture ; mais Ulenſpiegel lui apportait toujours quelque bon plat, car il entrait dans la maiſon par la rue Sainte-Catherine, & se cachait dans le grenier.

Le lendemain, à vêpres, le comte de Meghem confeſſa à la belle commère comme quoi il avait réſolu de faire entrer à Bois-le-Duc avant le jour la gendarmerie qu’il commandait. Puis il s’endormit. La belle commère alla au grenier narrer le fait à Ulenſpiegel.


XVIII


Ulenſpiegel vêtu en pèlerin partit incontinent sans proviſions ni argent pour Bois-le-Duc, afin de prévenir les bourgeois. Il comptait prendre en route un cheval chez Jeroen Praet, frère de Simon, pour lequel il avait des lettres du prince, & de là courir le grand trotton par les chemins de traverſe juſqu’à Bois-le-Duc.