Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et il diſait tout bas :

— Quand tu vendras ta peau, je l’achèterai un liard pour en faire une amulette contre la prodigalité.

Cependant une mignonne & gentille commère qui se tenait dans la cour obſcure était venue souvent regarder Lamme par la fenêtre, & se retirait chaque fois qu’il pouvait voir son joli muſeau.

Le soir, sur l’eſcalier, comme il montait sans lumière, trébuchant à cauſe du vin qu’il avait bu, il sentit une femme qui l’enlaçait, le baiſait sur la joue, sur la bouche, voire même sur le nez, goulûment & mouillant sa face de larmes amoureuſes, puis le laiſſa.

Lamme, enſommeillé à cauſe de la boiſſon, se coucha, dormit, & le lendemain s’en fut à Gand avec Ulenſpiegel.


XIII


Là, il chercha sa femme dans tous les kaberdoeſjen, muſicos & tavernes. Le soir, il retrouvait Ulenſpiegel, In den zingende Zwaan, au Cygne chantant. Ulenſpiegel allait partout où il pouvait, semant l’alarme & soulevant le peuple contre les bourreaux de la terre des pères.

Se trouvant au Marché du Vendredi, près de Dulle-Griet, le Grand-Canon, Ulenſpiegel se coucha à plat ventre sur le pavé.

Un charbonnier vint & lui dit :

— Que fais-tu là ?

— Je me mouille le nez pour savoir d’où vient le vent, répondit Ulenſpiegel.

Un menuiſier vint.

— Prends-tu, dit-il, le pavé pour un matelas ?

— Il en eſt qui le prendront bientôt pour couverture, répondit Ulenſpiegel.

Un moine s’arrêta.

— Que fait là ce veau ? demanda-t-il.

— Il demande à plat ventre votre bénédiction, mon père, répondit Ulenſpiegel.

Le moine, la lui ayant donnée, s’en fut.