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frappa à toutes mains de si grandes gifles que je m’enfuis tout meurtri de la maiſon.

Claes lui demanda ce que faiſaient ses père & mère pendant cette giflerie.

Lamme Goedzak répondit :

— Mon père me battait sur une épaule & ma mère sur l’autre en me diſant : « Revanche-toi, couard. » Mais moi, ne voulant pas frapper une fille, je m’enfuis.

Soudain Lamme blêmit & trembla de tous ses membres.

Et Claes vit venir une grande femme &, marchant à côté d’elle une fillette maigre & d’aſpect farouche.

— Ah ! dit Lamme tenant Claes au haut-de-chauſſes, voici ma mère & ma sœur qui me viennent quérir. Protégez-moi, monſieur du charbonnier.

— Tiens, dit Claes, prends d’abord ces sept liards pour salaire & allons à elles sans peur.

Quand les deux femmes virent Lamme, elles coururent à lui & toutes deux le voulurent battre, la mère parce qu’elle avait été inquiète & la sœur parce qu’elle en avait l’habitude.

Lamme se cachait derrière Claes & criait :

— J’ai gagné sept liards, j’ai gagné sept liards, ne me battez point.

Mais la mère l’embraſſait déjà, tandis que la fillette voulait de force ouvrir les mains de Lamme pour avoir son argent. Mais Lamme criait :

— C’eſt le mien, tu ne l’auras pas.

Et il serrait les poings.

Claes toutefois secoua rudement la fillette par les oreilles & lui dit :

— S’il t’arrive encore de chercher noiſe à ton frère, qui eſt bon & doux comme un agneau, je te mettrai dans un noir trou à charbon, & là ce ne sera plus moi qui te tirerai les oreilles mais le rouge diable d’enfer, qui te mettra en morceaux avec ses grandes griffes & ses dents qui sont comme fourches.

À ce propos, la fillette n’oſant plus regarder Claes ni s’approcher de Lamme, s’abrita derrière les jupons de sa mère. Mais en entrant en ville, elle criait partout :

— Le charbonnier m’a battue ; il a le diable dans sa cave.

Cependant elle ne frappa plus Lamme davantage ; mais, étant grande, le fit travailler à sa place. Le doux niais le faiſait volontiers.