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pleuvoir ; mais tous avides ou altérés, volant, debout, courant ou immobiles, cherchant à avoir le vin, & plus vivants à chaque goutte qu’ils en pouvaient recevoir. Et il n’y avait point là de vieillards, mais, laids ou beaux, tous étaient pleins de verte force & de vive jeuneſſe.

Et ils riaient, criaient, chantaient en se pourſuivant sur les arbres comme des écureuils, dans l’air comme des oiſeaux, chaque mâle cherchant sa femelle & faiſant sous le ciel de Dieu l’œuvre sainte de nature.

Et les eſprits de la sève apportèrent au roi & à la reine la grande coupe pleine de leur vin. Et le roi & la reine burent & s’embraſſèrent.

Puis le roi, tenant la reine enlacée, jeta sur les arbres, les fleurs & les eſprits, le fond de sa coupe & s’écria :

— Gloire à la Vie ! gloire à l’Air libre ! gloire à la Force !

Et tous s’écrièrent :

— Gloire à Nature ! gloire à la Force !

Et Ulenſpiegel prit Nele dans ses bras. Étant ainſi enlacés, une danſe commença ; danſe tournoyante comme les feuilles que raſſemble une trombe, où tout était en branle, arbres, plantes, inſectes, papillons, ciel & terre, roi & reine, filles-fleurs, empereurs des mines, eſprits des eaux, nains boſſus, princes des pierres, hommes des bois, porte-lanternes, eſprits protecteurs des étoiles, & les cent mille horrifiques inſectes entremêlant leurs lances, leurs faux dentelées, leurs fourches à sept fourchons, danſe vertigineuſe, roulant dans l’eſpace qu’elle rempliſſait, danſe à laquelle prenaient part le soleil, la lune, les planètes, les étoiles, le vent, les nuées.

Et le chêne auquel Nele & Ulenſpiegel s’étaient accrochés roulait dans le tourbillon, & Ulenſpiegel diſait à Nele :

— Mignonne, nous allons mourir.

Un eſprit les entendit & vit qu’ils étaient mortels :

— Des hommes, cria-t-il, des hommes en ce lieu !

Et il les arracha de l’arbre & les jeta dans la foule.

Et Ulenſpiegel & Nele tombèrent mollement sur le dos des eſprits, leſquels se les renvoyaient les uns aux autres diſant :

— Salut aux hommes ! bienvenus les vers de terre ! Qui veut du garçonnet & de la fillette ? Ils nous viennent faire viſite, les chétifs !

Et Ulenſpiegel & Nele volaient de l’un à l’autre criant :

— Grâce !

Mais les eſprits ne les entendaient point, & tous deux voltigeaient, les