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Sautant sur Katheline & la frappant :

— Où sont les carolus ? dit-il.

— Oui ! oui, grand prodige ! répondait Katheline.

Nele défendant sa mère, criait :

— Grâce & pitié, Ulenſpiegel.

Il ceſſa de frapper. Soetkin se montra alors & demanda ce qu’il y avait.

Ulenſpiegel lui montra le chien égorgé & le trou vide.

Soetkin blêmit & dit :

— Vous me frappez durement, Seigneur Dieu. Mes pauvres pieds !

Et elle diſait cela à cauſe de la douleur qu’elle y avait & de la torture inutilement soufferte pour les carolus d’or. Nele, voyant Soetkin si douce, se déſespérait & pleurait ; Katheline agitant un morceau de parchemin, diſait :

— Oui, grand prodige. Cette nuit, il eſt venu, bon & beau. Il n’avait plus sur son viſage ce blême éclat qui me cauſait tant de peur. Il me parlait avec une grande tendreſſe. J’étais ravie, mon cœur se fondait. Il me dit : « Je suis riche maintenant & t’apporterai mille florins d’or, bientôt. — Oui, dis-je, j’en suis aiſe pour toi plus que pour moi, Hanſke, mon mignon. — Mais n’as-tu point céans, demanda-t-il, quelque autre perſonne que tu aimes & que je puiſſe enrichir ? — Non, répondis-je, ceux qui sont ici n’ont nul beſoin de toi. — Tu es fière dit-il ; Soetkin & Ulenſpiegel sont donc riches ? — Ils vivent sans le secours du prochain, répondis-je. — Malgré la confiſcation ? dit-il. — Ce à quoi je répondis que vous aviez plutôt souffert la torture que de laiſſer prendre votre bien. — Je ne l’ignorais point, dit-il. » Et il commença, ricaſſant coîment & baſſement, à se gauſſer du bailli & des échevins, pour ce qu’ils n’avaient rien su vous faire avouer. Je riais alors pareillement. « Ils n’euſſent point été si niais, dit-il, que de cacher leur tréſor en leur maiſon. » Je riais. « Ni dans la cave céans. » — Nenni, diſais-je. — « Ni dans le clos ? » Je ne répondis point. « Ah ! dit-il, ce serait grande imprudence. » — Petite, diſais-je, car l’eau ni son mur ne parleront. » Et lui de continuer de rire.

Cette nuit, il partit plus tôt que de coutume, après m’avoir donné une poudre avec laquelle, diſait-il, j’irais au plus beau des sabbats. Je le reconduiſis, en mon linge, juſqu’à la porte du clos, & j’étais tout enſommeillée. J’allai, comme il l’avait dit, au sabbat, & n’en revins qu’à l’aube, où je me trouvai ici, & vis le chien égorgé & le trou vide. C’eſt là un coup bien peſant pour moi, qui l’aimai si tendrement & lui donnai mon âme. Mais vous aurez