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assis vis-à-vis d’elle. Ils ne se parlaient pas, ne se serraient pas la main, mais parfois Anna les voyait plonger l’un dans l’autre, leurs regards voilés et pleins d’un profond amour. C’était un jeune couple que le mariage avait pris dans toute la fougue de la jeunesse : un poëte eut mis sur leur front une couronne d’aubépines, des fleurs pour aujourd’hui, des blessures pour demain. Ils descendirent de convoi en même temps qu’Isaac et Anna, et se mirent à courir l’un derrière l’autre, en se faisant des niches sur le chemin : la nature était à ces enfants.

Une chaleur torréfiante montait du sol et descendait du ciel. Partout dans les vastes champs qu’embrassaient ses regards, Anna ne voyait que du feu et de la lumière : les seigles en fleur courbaient voluptueusement leurs tiges souples sous le vent qui passait en s’embaumant de leurs parfums : les saules tétards si nombreux dans les campagnes de Flandre semblaient tordre leurs troncs fantastiques comme s’ils eussent été prêts à éclater sous la séve qui les gonflait. Vivre, vivre ! semblaient murmurer les houblons en s’enroulant autour de leurs lances inanimées ; aimer, semblaient chanter les oiseaux qui passaient en se poursuivant l’un l’autre ; bonheur ! jeunesse ! puissance ! disaient les prés aux herbes molles, les eaux vives, les peupliers frissonnants, les chênes forts et le puissant soleil