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coutumé leurs yeux à ne s’ouvrir que ſur un petit nombre d’objets, à ne ſupporter qu’une faible lumière.

Mais quittons la métaphore. Penſe-t-on que l’imagination d’un Prince qui connoît à peine les environs de ſa capitale puiſſe parcourir ſes vaſtes États ? D’après un petit nombre de courtiſans qui l’entourent ordinairement, d’après une foule de curieux qui l’importunent a certains jours marqués, une foule preſque toute compoſée de citadins aiſés puiſqu’ils ſe donnent du bon tems, jeunes & ingambes puiſqu’ils courent ſur ſes pas, penſe-t-on qu’un Roi puiſſe ſe repréſenter tout ſon peuple ? Et d’après quoi ſe figureroit-il un ſiege ou une bataille ? Les fatigues d’une armee qui attaque, les horreurs qu’éprouve quelquefois une ville qui ſe défend, lui auroient-elles été racontées par quelqu’invalide mutilé, qui entre-mêlant ſes récits lugubres du recit grivois de ſes proueſſes & de ſes amours, lui auroit donné une idée des plaiſirs de la vie militaire en même tems que de ſes périls ? Les invalides ne parlent pas aux Rois.

Il eſt un conte burleſque qu’on n’oſe plus