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A soixante-dix ans, vieux pilote surpris,
Tu vis que ton bateau naviguait vers sa perte,
Et droit, et souriant, et de vieillesse verte,
Tu sombras, ruiné jusqu’au dernier débris.

Hier bourgeois visité dans ta maison de ville,
Sans asile aujourd’hui, tu cherchas dans les bois,
Dans les grands bois de pin, dont tu compris la voix,
Un désert, où cacher ta pauvreté tranquille.

Seul ? non, une faiblesse était là, ton soutien,
Ta fille au pâle front, qui maintenait ta force...
Le chêne liège vieux, bois dur et tendre écorce,
Porte un cœur étoile, père, comme le tien !

Tu trouvas en ruine un logis à couleuvres,
Et charpentier, maçon, terrassier et couvreur,
Sans maître et sans manœuvre, et pourtant sans erreur,
Tu refis la maison, vieil enfant de tes œuvres !

Le « campas » fait jardin, bien planté, bien enclos,
Ce travail le paya pour le temps de ta vie,
Et de par ta misère à l’abri de l’envie,
Tu travaillas vingt ans, — jusqu’au dernier repos.

Tu n’as plus rien connu des villes, sur ta roche ;
Robinson, tu voyais la mer, — de ta maison.
Mais des vaisseaux dorés, errant sur l’horizon,
Tu saluais l’adieu sans souhaiter l’approche.

Les saisons circulaient, les jours qui font les mois,
Les grands froids, les grands chauds ; toi, selon la journée,
Assis au grand soleil ou dans la cheminée,
Tu lisais du français et tu parlais patois.

Conteur, tout en tressant des paniers et des claies,
Tu faisais aux enfants de longs, de gais récits,
Et moi-même, en vacance, à tes côtés assis,
J’oubliais, pour ta voix, l’école dans les haies.