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LEIBNIZ HISTORIEN

qui est à l’érudition ce qu’une question de raison ou de droit est à une question de fait (1). Aussi donnait-il à la philosophie et aux sciences le pas sur l’histoire et l’érudition qui, composées de vérités confuses, n’éclairent pas l’esprit, comme la connaissance des vérités nécessaires, claires et distinctes. Il en reconnaissait l’importance, mais pour lui l’utilité n’en était que temporaire ; il y voyait un moyen pour arriver à une fin plus générale, le développement de notre vie et celle de nos semblables, et en comparait la connaissance à celle des routes pour le voyageur ou à celle des rues pour l’habitant d’une grande ville (2).

Aussi Leibniz, tout en s’occupant constamment d’his-

par science les connaissances, les lumières grâce auxquelles les hommes deviennent plus satisfaits et plus heureux, par lesquelles le pouvoir du genre humain sur la nature devient plus étendu, par lesquelles ils conquièrent sans cesse de nouveaux avantages, de nouveaux remèdes, afin de jouir, dans la mesure du possible, de la santé et du bien être. » Jteglé, t. IV, p. 140-1. Lettre à la duchesse d’Orléans (après le 26 septembre 1715).

1. « Eruditum autem intelligo… qui res maximas in orbecognitogestas, quo usque hominum memoria pertingit, animo complexus est… Itaque eruditione prœstat, qui… ut verbo dicam, quidquid non ex ingenio inveniendum, sed ex ipsis rébus hominibusque discendum est, in promptu habet. Et sic quidem philosophia ab eruditione diiïert, quemadmodum id, quod est rationis sive juris, ab eo quod est facti. » Lettre à Huet, 1679. Dutens, t. V, p. 458-9 (trad. par Emery, p. 168-9). Cf. plus haut, p. 340, n. 1 et p. 354, n. 5.

2. « La pensée est la fonction principale et perpétuelle de nostre ame… C’est pour quoy ce qui nous rend plus capable de penser aux plus parfaits objets et d’une manière plus parfaite, c’est ce qui nous perfectionne naturellement. Cependant Testât présent de nostre vie nous oblige a quantité de pensées confuses qui ne nous rendent pas plus parfaits. Telle est la connoissance des coustumes, des généalogies, des langues et même toute connoissance historique des faits tant civils que naturels, qui nous est utile pour éviter les dangers et pour manier les corps et les hommes qui nous environnent, mais qui n’éclaire pas l’esprit. La connoissance des routes est utile à un voyageur pendant qu’il voyage, mais ce qui a plus de rapports aux fonctions où il sera destiné m patria luy est plus important. Or, nous sommes destinés à vivre un jour une vie spirituelle, où les substances séparées de la matière nous occuperont beaucoup plus que les corps… Les connaissances qui éclairent nostre esprit, ce sont celles qui sont distinctes, c’est-à-dire qui contiennent les causes ou raisons… Cette connoissance seule est bonne par elle-même ; tout le reste est mercenaire et ne doit estre appris que par nécessité, à cause des besoins de cette vie. » Lettre au landgrave Ernest, 28 novembre /8 décembre 1686. Gehr., Phil., t. II, p. 82 (Rommel, t. II, p. 96 ; Foucher de Careil, Noiw. lettres, p. cxxiii-iv). « Je ne mets entre les perfections que ce qui nous peut rester après cette vie, et la connoissance des faits est à i)eu près comme relie des riies de Londres qui est bonne pendant qu’on y demeure. » Lettre à Th. Burnet citée plus haut, p. 359, n. 4. Gehr., p. 182 (Dutens, p. 238).