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BERNARD-ANSELME DE SAINT-CASTIN

« Messieurs, j’ay reçu par Pierre Le Blanc la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire par laquelle j’aprends que vous vous estes accomodé avec Messieurs les Anglois. Je souhaite que cet accomodement soit sincère de leur costé et qu’ils ne vous rendent point coupables des coups que les Sauvages feront continuellement sur eux, et peut-estre sur vous mesmes par l’opposition qu’ils metteront pour vous empescher de faire les pièces que ces Messieurs vous demandent. Vous vous exposés à estre ruinés par les Sauvages qui ne veulent aucun accomodement avec ces Messieurs. Ils sont trop animés contr’eux pour souffrir de pareils accomodements qui sont si préjudiciables au Roy et à leurs propres intérêts. Les cruautés que ces Messieurs ont exercé et qu’ils exercent à l’esgard de leurs proches quand ils en trouvent l’occasion leur sont toujours présentes à l’esprit, et, tant qu’il y en aura un en ce pays, ils exerceront les mêmes cruautés à leur égard, par représailles et, dans le temps que vous croirez qu’il n’y en aura point au Port-Royal et que vous vous croirez en seureté pour accomoder ces Messieurs des pièces qu’ils vous demandent, vous vous trouverez saisis par les Sauvages, qui tueront vos bestiaux et vous prendront prisonniers comme ennemis du Roy, trop heureux si vous pouvez conserver votre vie et celle de vos enfants ! Pensez à cela, ne pouvant absolument ensaisiner votre requeste, estant opposée à mes ordres et ne pouvant dompter la fureur animée des Sauvages contre les ennemis de Sa Majesté. — Je suis tout à vous Messieurs, de Saint-Castin ».

Les Acadiens étaient bien disposés. Plusieurs servirent sous les ordres de Saint-Castin, encourant la confiscation de leurs biens aux mains des Anglais. Toujours parcimonieux à l’égard de l’Acadie, le roi de France mit bien du temps à les en indemniser et c’est ce qui explique, en bonne partie, la neutralité où se cantonnèrent par la suite la plupart des Acadiens.

Saint-Castin n’avait pas perdu l’espoir de reprendre Port-Royal. À la tête de ses Abénaquis et de 300 des Acadiens restés fidèles, il rejoignit l’abbé Gaulin, parti de Canso avec un groupe de sauvages et de blancs. Les deux hommes attendaient les munitions et les canons embarqués par Pierre Morpain à Plaisance. Par malheur, attaqué par une grosse frégate de 30 canons, Morpain succomba. Les secours n’arrivaient pas non plus de Québec, où l’on craignait toujours une attaque. D’un autre côté, Boston faisait parvenir des renforts à Vetch. Réduits à leurs propres forces, privés d’artillerie, Saint-Castin et Gaulin abandonnèrent le siège.

Le 22 juin 1712, le ministre écrivait froidement à Gaulin que les deux intrépides avaient trop attendu pour attaquer, qu’ils auraient dû donner l’assaut immédiatement après la défaite des 80 Anglais à l’Anse-au-Sang, alors qu’une épidémie affaiblissait la garnison.