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pour Raoul. M. Le Myre de Vilers, aujourd’hui représentant de la France à Madagascar, ne se rappelle plus ceci, sans doute ; mais je n’ai pas oublié, moi, avec quelle bonne grâce et quelle promptitude qui en doublait le prix, il répondit à ma lettre en m’offrant pour mon ami une place de quinze cents francs aux bureaux du cadastre : cinq heures de travail par jour, d’un travail sans fatigue, dans le plus beau pays du monde, un décor de verdure et d’eau sous les yeux.

Ce fut une vraie féerie pour Raoul que ce départ, ce grand voyage, et la pensée qu’il ne retournerait plus à l’atelier, qu’il n’aurait plus les mains noires et pourrait gagner son pain sans en mourir. Dans la famille où je vis, je suis entouré de bons êtres aux cœurs larges et nobles que le malheur de cet enfant avait conquis ; et l’on se cotisa pour son bien-être. « Moi, je paie le voyage… » dit la vieille bonne maman. Un autre se chargea du linge, un autre des vêtements, car il fallait laisser la cotte bleue et la salopette à l’usine. Raoul acceptait tout, main-