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voyais arriver chez moi, dans la petite maison que j’habitais à Champrosay, frileux, le dos rond, les bras serrant sa mince pelure sur une poitrine étroite où la toux sonnait comme un glas.

Nous étions voisins par les bois de Sénart. Déjà malade, meurtri par l’horrible vie ouvrière que le caprice d’un amant de sa mère lui avait imposée, il était venu se reposer à la campagne dans un grand logis solitaire et délabré où il vivait en Robinson, avec un sac de pommes de terre et un crédit de pain chez le boulanger de Soisy. Pas un sou, pas même de quoi prendre le train pour Paris. Quand il s’ennuyait trop de ne plus voir sa mère, il faisait six grandes lieues à pied, et s’en revenait épuisé, ravi ; car il l’adorait cette mère, parlait d’elle avec une effusion tendre, admirante, un respect de métis pour la femme blanche, l’être supérieur. « Maman est chanoinesse !… » me disait-il un jour, et d’un ton si convaincu que je n’osai pas lui demander de quel chapitre. Mais quelques mots de ce genre m’avaient permis de juger quelle femme