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goûts, mon ambition se tournaient vers d’autres conquêtes. La littérature, c’était l’unique but de mes rêves. Soutenu par la confiance illimitée de la jeunesse, pauvre et radieux, je passai toute cette année dans mon grenier à faire des vers. C’est une histoire commune et touchante. Paris les compte par centaines les pauvres jeunes diables ayant pour toute fortune quelques rimes ; mais je ne pense pas que personne ait jamais commencé sa carrière dans un dénûment plus complet que moi.

À l’exception de mon frère, je ne connaissais personne. Myope, gauche et timide, quand je me glissais hors de ma mansarde, je faisais invariablement le tour de l’Odéon, je me promenais sous ses galeries, ivre de frayeur et de joie à l’idée que j’y rencontrerais des hommes de lettres. Près de la boutique de Mme Gaut, par exemple. Mme Gaut, déjà vieille, mais des yeux étonnants, brillants et noirs, permettait de parcourir les livres nouveaux exposés sur son étalage, à la condition de n’en pas couper les feuilles.

Je la vois causant avec le grand roman-