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rage ; il faut maintenant voir comment les choses se sont passées, remercier les acteurs, serrer la main aux camarades qui attendent impatiemment au café Tabourey, dans la petite salle… » — Et voilà le rêve que je faisais tout éveillé, sous la tente, dans l’assoupissante chaleur d’un beau mois d’hiver africain, tandis qu’au lointain, parmi les feux obliques du soleil descendu, un puits — blanc tout à l’heure — se colorait en rose et qu’on entendait pour seul bruit, dans le grand silence de la plaine, le tintement d’une clochette et les appels mélancoliques des bergers.

Rien d’ailleurs ne venait troubler ma rêverie. Mes hôtes savaient bien, à eux quatre, vingt mots de français ; moi, à peine dix mots d’arabe. Le compagnon qui m’avait amené et qui me servait ordinairement d’interprète (un Espagnol, marchand de grains, dont j’avais fait la connaissance à Milianah) n’était pas là, s’obstinant à poursuivre la chasse ; de sorte que nous fumions nos grosses cigarettes en silence, tout en buvant des gorgées de noir café maure