Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/180

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de Beaucaire. Puis son mariage, la mort de son mari, de sa fille aînée, que des pressentiments, un brusque coup au cœur lui révélaient à plusieurs lieues de distance, des deuils, des naissances, une translation de cendres chères quand on ferma le cimetière vieux.


C’était comme si j’avais feuilleté un de ces anciens livres de raison, à tranches fatiguées, où s’inscrivait autrefois l’histoire morale des familles, mêlée aux détails vulgaires de l’existence courante, et les comptes des bonnes années de vin et d’huile à côté de véritables miracles de sacrifice et de résignation. Dans cette bourgeoise à demi rustique, je sentais une âme bien féminine, délicate, intuitive, une grâce malicieuse et ignorante de petite fille. Fatiguée de parler, elle s’enfonçait dans son grand fauteuil, loin de la lampe ; l’ombre d’une nuit tombante fermait ses paupières creuses, envahissait son vieux visage aux grandes lignes, ridé,