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quittait ses énormes bottes de chasse à la porte des mosquées et s’avançait dans le sanctuaire de Mahomet, grave, les lèvres serrées, en chaussettes de couleur. Ah ! il y croyait, celui-là à l’Orient, et aux muezzins, et aux almées, aux lions, aux panthères, aux dromadaires, à tout ce qu’avaient bien voulu lui raconter ses livres et que son imagination méridionale lui grandissait encore.

Moi, fidèle comme le chameau de mon histoire, je le suivais dans son rêve héroïque ; mais, par instants, je doutais un peu. Je me rappelle qu’un soir, à l’Oued-Fodda, partant pour un affût au lion et traversant un camp de chasseurs d’Afrique avec tout notre accoutrement de houseaux, de fusils, révolvers, couteaux de chasse, j’eus la sensation aiguë du ridicule devant la stupeur muette des bons troupiers faisant leur soupe sur le front des tentes alignées. « Et s’il n’y avait pas de lion ! »

Ce qui n’empêche qu’une heure après, la nuit venue, à genoux dans un bouquet de lauriers, fouillant l’ombre avec mes