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jusqu’aux dents et coiffés de la chéchia, nous partîmes chasser le lion en Algérie.

À vrai dire, je n’y allais pas expressément pour cela, ayant surtout besoin de calfater au beau soleil mes poumons un peu délabrés. Mais ce n’est pas pour rien, mille dieux ! que je suis né au pays des chasseurs de casquettes ; et dès que j’eus mis le pied sur le pont du Zouave où l’on embarquait notre énorme caisse d’armes, plus Tartarin que Tartarin, je m’imaginai réellement que j’allais exterminer tous les fauves de l’Atlas.

Féerie du premier voyage ! Il me semble que c’est aujourd’hui ce départ, cette mer bleue, mais bleue comme une eau de teinture, toute rebroussée par le vent, avec des étincellements de saline, et ce beaupré qui se cabrait, piquait la lame, se secouait tout blanc d’écume et repartait la pointe au large, toujours au large, et midi qui sonnait partout dans la lumière avec toutes les cloches de Marseille, et mes vingt ans qui faisaient dans ma tête aussi un retentissant carillon.

Tout cela, je le revis rien que d’en parler,