Page:Daudet - Théâtre, Lemerre, 1889.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eustache

Eh bien ! sais-tu, Suzette, puisque rien n’est changé ici dedans, ni le piano, ni le cœur, ni le reste, nous allons reconstruire une de nos belles heures dorées d’autrefois ; prends ton tabouret, moi je prends ma chaise, toi là, moi ici ; tes doigts sur le clavier, mon oreille contre le piano ; en route maintenant, et vive la musique pour évoquer le souvenir !

suzette, assise au piano.

Mais tu plaisantes… mais que veux-tu que je te joue ? Mais je ne sais rien.

eustache

Oh ! ne dis jamais cela, Suzette, je t’en prie : « Je ne sais rien ! » C’est le début éternel des sonates interminables et des poèmes qui n’en finissent plus… tous les accapareurs de pianos et de coins de cheminées commencent par là : « Je ne sais rien ! » Ne dis pas que tu ne sais rien, Suzette.

suzette

Que veux-tu que je te dise ? je ne vois rien à te jouer, moi ; je n’ai pas de mémoire, je n’ai pas de musique.

eustache

Bah ! la première chose venue, une mesure de quoi que ce soit, pourvu qu’il n’y ait pas de variations dedans… Est-ce qu’on a besoin de musique pour cela ? Et d’ailleurs en voilà, de la musique. (Il prend la romance posée sur le clavecin.)