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reuse de te voir de la peine ! Il lui semblait que cela te ferait du bien d’avoir de l’amitié pour quelqu’un, et voilà pourquoi elle m’a envoyée vers toi… Sans elle, je ne serais pas venue. Je ne suis pas demandeuse, moi ; ce que j’avais m’aurait suffi. Venir ici deux ou trois fois l’an, y penser longtemps à l’avance et encore plus longuement après… t’entendre, être à tes côtés, je n’en aurais pas voulu davantage… Tu ne sais pas, toi, quand j’arrivais chez vous, comme le cœur me battait, rien que de voir votre porte. (Mouvement de Frédéri.) Et vois comme je suis malheureuse ! Ces bonheurs que je me faisais avec rien, mais qui me remplissaient ma vie, voilà qu’on me les a fait perdre. Car maintenant, c’est fini, tu comprends bien… Apres tout ce que je t’ai dit, je n’oserai plus me trouver en face de toi. Il faut que je m’en aille pour ne plus revenir.

frédéri.

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Tu as raison, va-t’en, cela vaut mieux.

vivette.

Seulement, avant que je parte, laisse-moi te demander une chose, une dernière chose. Le mal qu’une femme t’a fait, une femme peut le guérir. Cherche une autre amoureuse, et ne te désespère pas toujours sur celle-là. Tu penses quelle double peine ce serait pour moi d’être loin et de me dire : « Il n’est pas heureux. » Ô mon Frédéri ! Je te le demande à genoux, ne te laisse pas mourir pour cette femme. Il y en a d’autres. Toutes ne sont pas laides comme Vivette. Ainsi, moi, j’en connais qui sont bien belles, et, si tu veux, je te les dirai.