Page:Daudet - Théâtre, Lemerre, 1889.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le galant veut les ravoir, il viendra me les demander. Comme ça, je le connaitrai.

balthazar.

Ah ! fou ! triple fou !…, (Chœurs au dehors.) Qu’est-ce qu’ils ont donc à appeler, les bergers ? (Regardant le ciel.) Au fait, ils ont raison. Voilà le jour qui va tomber… il faut rentrer les bétes. (À l’Innocent.) Attends-moi, petit, je reviens. (Il sort.)


Scène V


FRÉDÉRI, L’INNOCENT.


frédéri, assis sur les roseaux ; l’Innocent mangeant un peu plus loin.

Tous les amoureux ont des lettres d’amour ; moi, voilà les miennes. (Il tire les lettres.) Je n’en ai pas d’autres… Ah ! misère !… J’ai beau les savoir par cœur, il faut que je les lise et les relise sans cesse. Cela me déchire, j’en meurs, mais c’est bon tout de même… comme si je m’empoisonnais avec quelque chose de délicieux.

l’innocent, se levant.

Là ! j’ai fini ; je n’ai plus faim.

frédéri, regardant les lettres.

Y en a-t-il, de ces caresses, là-dedans, et des larmes, et des serments d’amitié ! Dire que tout cela est pour un autre, que c’est écrit, que je le sais et que je l’aime encore ! (Avec rage.) C’est un peu fort pourtant, que le mépris ne puisse pas tuer l’amour ! (Il lit les lettres.)