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frédéri.

Ce que j’ai ?… mais je n’ai rien.

balthazar.

Si tu n’as rien, pourquoi passes-tu toutes les nuits à pleurer, à te lamenter ?

frédéri.

Qui te l’a dit ?

balthazar.

Tu sais bien que je suis sorcier. (Tout en parlant, il est entré dans la bergerie, et il en sort avec un bissac de toile qu’il jette à l’Innocent.) Tiens ! cherche ta vie.

frédéri.

Eh bien, oui ! C’est vrai. Je suis malade, je souffre ! Quand je suis seul, je pleure, je crie… Tout à l’heure, là-dedans, je cachais ma tête dans la paille pour qu’on ne m’entendît pas… Berger, je t’en conjure, puisque tu es sorcier, fais-moi manger une herbe, quelque chose qui m’enlève ce que j’ai là et qui me fait tant mal.

balthazar.

Il faut travailler, mon enfant.

frédéri.

Travailler ? Depuis huit jours, j’ai abattu la besogne de dix journaliers ; je m’écrase, je m’exténue, rien n’y fait.

balthazar.

Alors, marie-toi vite… C’est un bon oreiller pour dormir que le cœur d’une honnête femme…