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son petit œil flamboyant qui visait le famulus épouvanté.

Imagination, ô magie ! Il se croyait sur la place d’Altorf, en face de son enfant, lui qui n’en avait jamais eu ; une flèche dans le goulot de son arbalète, une autre à sa ceinture pour percer le cœur du tyran. Et sa conviction devenait si forte qu’elle se communiquait autour de lui.

« C’est Guillaume Tell !… » disait le peintre, accroupi sur un escabeau, poussant son croquis d’une main fiévreuse : « Ah ! monsieur, que ne vous ai-je connu plus tôt ! vous m’auriez servi de modèle…

— Vraiment ! vous trouvez quelque ressemblance ?… » fit Tartarin flatté, sans déranger la pose.

Oui, c’est bien ainsi que l’artiste se représentait son héros.

« La tête aussi ?

— Oh ! la tête peu importe… » Le peintre s’écartait, regardait son croquis : « Un masque viril, énergique, c’est tout ce qu’il faut, puisqu’on ne sait rien de Guillaume Tell et que probablement il n’a jamais existé. »

De stupeur, Tartarin laissa tomber son arbalète.

« Outre[1] !… Jamais existé !… Que me dites-vous là ?

— Demandez à ces messieurs… »

Astier-Réhu solennel, ses trois mentons sur sa cravate blanche : « C’est une légende danoise.

— Isländische… ? affirma Schwanthaler non moins majestueux.

— Saxo Grammaticus raconte qu’un vaillant archer appelé Tobe ou Paltanoke…

— Es ist in der Vilkinasaga geschrieben…


Ensemble :


ut condamné par le roi de Danemark, Harold aux dents bleues… » dass der Isländische König Necding… »
  1. « Outre » et « boufre » sont des jurons tarasconnais d’étymologie mystérieuse. Les dames elles-mêmes s’en servent parfois, mais en y ajoutant une atténuation. « Outre !… que vous me feriez dire. »