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« Quelqu’un du Midi, bien sûr », murmura le doux Pascalon ; et le président, devenu blême à l’idée de Costecalde, commanda :

« Allez donc voir, Spiridion… vous nous le saurez à dire… »

Un formidable éclat de rire partit du retrait où le brave gong venait d’entrer, sur l’ordre de son chef, et d’où il ramenait par la main un long diable au grand nez, les yeux farceurs, la serviette au menton, comme le cheval gastronome :

« Vé ! Bompard…

Té ! l’imposteur…

— Hé ! adieu, Gonzague… Comment te va !

— Différemment, messieurs, je suis bien le vôtre… » dit le courrier serrant toutes les mains et s’asseyant à la table des Tarasconnais pour partager avec eux un plat de cèpes à l’ail préparé par la mère Baltet, laquelle, ainsi que son mari, avait horreur de la cuisine de table d’hôte.

Était-ce le fricot national ou bien la joie de retrouver un pays, ce délicieux Bompard à l’imagination inépuisable ? Immédiatement la fatigue et l’envie de dormir s’envolèrent, on déboucha du champagne et, la moustache toute barbouillée de mousse, ils riaient, poussaient des cris, gesticulaient, s’étreignaient à la taille, pleins d’effusion.

« Je ne vous quitte plus, vé ! disait Bompard… Mes Péruviens sont partis… Je suis libre…

— Libre !… Alors, demain, vous faites le Mont-Blanc avec moi ?

— Ah ! vous faites le Mont-Blanc demeïn ? répondit Bompard sans enthousiasme.

— Oui, je le souffle à Costecalde… Quand il viendra, uit !… Plus de Mont-Blanc… Vous en êtes, qué, Gonzague ?

— J’en suis… J’en suis… moyennant que le temps le veuille… C’est que la montée n’est pas toujours commode dans cette saison.

— Ah ! vaï ! pas commode… » fit le bon Tartarin frisant ses petits yeux par un rire d’augure que Bompard, du reste, ne parut pas comprendre.

« Passons toujours prendre le café au salon… Nous consulterons le père Baltet. Il s’y connaît, lui, l’ancien guide qui a fait vingt-sept fois l’ascension. »