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tête à la mort jusqu’au bout et parla très noblement. Quand les fusils s’abaissèrent, il mit, par un geste instinctif, son bras gauche devant sa figure, et ce vieux républicain mourut dans l’attitude de César… À la place où ils sont tombés, contre ce mur froid et nu comme la plaque d’un jardin de tir, quelques branches de pêcher s’étalent encore en espalier, et, dans le haut, s’ouvre une fleur hâtive, toute blanche, que les balles ont épargnée, que la poudre n’a pas noircie…

… En sortant de la rue des Rosiers, par ces routes silencieuses qui s’échelonnent au flanc de la butte pleine de jardins et de terrasses, je gagne l’ancien cimetière de Montmartre, qu’on a rouvert depuis quelques jours pour y mettre les corps des deux généraux. C’est un cimetière de village, nu, sans arbres, tout en tombeaux. Comme ces paysans rapaces qui en labourant leurs champs font disparaître chaque jour un peu du chemin de traverse, la mort a tout envahi, même les allées. Les tombes montent les unes sur les autres.