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n’y croyait pas, qu’il fut le premier à s’en amuser.

Dînant un soir chaise à chaise, chez notre éditeur, il me demandait si le « quand je ne parle pas, je ne pense pas » de Roumestan était un mot fabriqué ou entendu.

« De pure invention, mon cher Gambetta.

— Eh bien, me dit-il, ce matin au conseil des ministres, un de mes collègues, Midi de Montpellier, celui-là, nous a déclaré qu’il ne pensait qu’en parlant… Décidément le mot est bien de là-bas… »

Et pour la dernière fois, j’entendis son grand beau rire.

Tous les méridionaux ne se montrèrent pas aussi intelligents, Numa Roumestan me valut des lettres anonymes furibondes, presque toutes au timbre des pays chauds. Les félibres eux-mêmes s’enflammèrent. Des vers lus en séance m’appelaient renégat, malfaiteur. « On voudrait lui battre l’aubade, — les baguettes tombent des mains… » disait un sonnet provençal du vieux Borelly. Et moi qui comptais sur mes compatriotes pour témoigner que je n’avais ni caricaturé, ni