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peu partout ces claires routes provençales, bordées de grands roseaux, neigées et craquantes de poussière chaude, que je courais quand j’avais vingt ans, un vieux moulin, et toujours sur le dos ma grande cape de laine. La maison où je fais naître Numa est celle de mes huit ans, rue Séguier, en face l’Académie de Nîmes ; l’école des frères terrorisée par l’illustre Boute-à-Cuire et sa férule marinée dans le vinaigre, c’est l’école de mon enfance, les souvenirs de ma plus lointaine mémoire. « Oiseaux de prime », disent les Provençaux.

Voilà les dessous et praticables, très simples comme on voit, de ce Numa Roumestan, qui me paraît le moins incomplet de tous mes livres, celui où je me suis le mieux donné, où j’ai mis le plus d’invention, au sens aristocratique du mot. Je l’ai écrit dans le printemps et l’été de 1880, avenue de l’Observatoire, au-dessus de ces beaux marronniers du Luxembourg, bouquets géants tout pommés de grappes blanches et roses, traversés de cris d’enfants, de sonnettes de marchands de coco, de bouffées de cuivres