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lementarisme haut cravaté semblait revivre. On ne parlait guère davantage autour de lui : ces pères conscrits d’autrefois, ces Épiménides endormis depuis Louis-Philippe et 1848 ne s’entretenaient qu’à voix très basse, comme pas bien sûrs d’être réveillés. On surprenait ces mots au vol : « Grand scandale… procès Baudin… scandale… Baudin. » Ne lisant guère de journaux et sorti très tard dans la journée, j’ignorais, moi, ce qu’était ce fameux procès. Tout à coup, j’entendis le nom de Gambetta : — « Qu’est-ce que c’est donc que ce M. Gambetta ? » disait un des vieillards avec une impertinence voulue ou naïve. Tous les souvenirs de ma vie au quartier me revinrent. J’étais bien tranquille dans mon coin, indépendant comme un brave homme de lettres gagnant sa vie et trop dégagé de toute attache et de toute ambition politique pour qu’un tel aréopage, si vénérable fût-il, m’en imposât. Je me levai : — « Ce M. Gambetta ? Mais c’est à coup sûr un homme fort remarquable… Je l’ai connu, tout jeune homme, et chacun de nous lui prédisait l’avenir le plus magni-