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navrante et fait songer douloureusement aux séparations de familles d’esclaves.

La nourrice a pris son paquet, quelques guenilles dans un mouchoir.

« Comment ! C’est votre trousseau ?

— Oh ! mon bon M’sieu, j’sommes si pauvres par chez nous… J’n’avons censément ren que c’que j’portions sur la piau. »

Et le fait est que ce n’est guère. Avant toute chose, il va falloir la renipper, la vêtir. C’était prévu. La première tradition, chez les nourrices, comme chez les flibustiers allant au pillage, est d’arriver les mains vides, sans bagages encombrants ; la seconde est de se procurer une grande malle, la malle à serrer la denraie. Car vous aurez beau la choyer et la soigner, cette sauvagesse ainsi introduite chez vous, et qui détonne d’abord si étrangement parmi les élégances d’un intérieur parisien avec sa voix rauque, son patois incompréhensible, sa forte odeur d’étable et d’herbe ; vous aurez beau laver son hâle, lui apprendre un peu de français, de propreté et de toilette ; toujours chez la nounou la plus friande et la mieux dégrossie, à tous