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présidentiel, l’air endormi et las, Morny, de son œil froid de connaisseur d’hommes, guettait celui-ci : il l’avait jugé moins Romain que Grec, plus emporté par la légèreté athénienne que lesté de prudence et de froide raison latine. Il connaissait l’endroit vulnérable ; il savait que sous cette toge de tribun se cachait la vanité native et sans défense des virtuoses et des poètes, et c’est par là qu’un jour ou l’autre il espérait en venir à bout.

Des années plus tard, quand pour la seconde fois et dans les circonstances que je vais dire, je me rencontrai avec Émile Ollivier, il était conquis à l’Empire. Morny avant de mourir avait mis comme une coquetterie à vaincre, à force d’avances narquoises et de hautaines câlineries, les résistances, pour la forme et la galerie, de cette mélodieuse vanité. On avait crié dans les rues : « la grande trahison d’Émile Ollivier », et pour cela, Émile Ollivier se croyait le comte de Mirabeau. Mirabeau avait voulu faire marcher d’accord la Révolution et la Monarchie ; Ollivier, plein d’ailleurs des in-