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et même quelque ressemblance avec les jeunes hommes tragiques de la grande Révolution : les Saint-Just, les Desmoulins, les Danton. Pour moi, que la politique touchait peu, le voyant ainsi, poétique malgré ses lunettes, éloquent, lamartinien, toujours prêt à parler et à s’émouvoir, je ne pouvais m’empêcher de le comparer à un arbre de son pays — non à celui dont il porte le nom et qui est symbole de sagesse — mais à un de ces pins harmonieux qui couronnent les collines blanches et se reflètent dans les flots bleus des côtes provençales, pins stériles mais gardant en eux comme un écho de la lyre antique, et frémissant toujours, résonnant toujours de leurs innombrables petites aiguilles entre-choquées au plus léger souffle de tempête, au moindre vent qui vient d’Italie.

Émile Ollivier était alors un des Cinq, un des cinq députés qui, seuls, osaient braver l’Empire, et il siégeait au milieu d’eux, tout en haut des bancs de l’Assemblée, isolé dans son opposition comme sur un inexpugnable Aventin. En face, renversé dans le fauteuil