Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/162

Cette page a été validée par deux contributeurs.

courut que la pièce avait été imposée par une princesse de la famille impériale ; la jeunesse du quartier Latin prit feu, une cabale fut montée, et la politique comprimée de partout, et qui éclatait comme elle pouvait, éclata cette fois sur le dos de deux artistes inoffensifs. Henriette Maréchal fut jouée cinq fois sans que personne pût en saisir un traître mot.

Je me rappelle encore le vacarme de la salle, et surtout le foyer des artistes le premier soir. Pas un habitué, pas un acteur ! Tout le monde avait fui au vent du désastre. Et dans ce désert luisant et ciré, sous le haut plafond solennel et le regard des grands portraits, deux jeunes gens tout seuls, debout près de la cheminée, se demandant : « pourquoi ces haines ?… que nous veut-on ? », dignes et fiers, mais le cœur serré malgré tout par la brutalité de l’injure. L’aîné, tout pâle, réconfortait le plus jeune, un blondin à figure étincelante et nerveuse que j’ai vu cette seule fois.

Leur drame était pourtant une œuvre hardie, belle et nouvelle. À quelque temps