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peur, je crus que c’était la fin, qu’il fallait s’en aller, laisser l’œuvre inachevée : et dans un adieu qui me semblait l’adieu suprême, j’eus tout juste la force de dire à ma femme, au cher compagnon de toutes les heures, bonnes ou mauvaises : « Finis mon bouquin. »

L’immobilité, quelques jours de lit, combien cruels avec toute cette rumeur de livre continuée dans ma tête, et le danger passait. Tout sert. Tourgueneff, peu de temps avant de mourir, ayant eu à supporter une opération douloureuse, notait dans son esprit toutes les nuances de la douleur. Il voulait, disait-il, nous conter cela dans un de ces dîners que nous faisions alors avec Goncourt et Zola. Moi aussi, j’analysais mes souffrances, et j’ai fait servir à la mort d’Élysée Méraut les sensations de ces instants d’angoisse.

Doucement, peu à peu, je repris mon travail. Je l’emportai aux eaux d’Allevard où l’on m’envoyait. Là, dans une des salles d’inhalation, je fis la rencontre d’un vieux médecin très original, fort savant, le docteur Roberty, de Marseille, qui me donna l’idée du type