Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/247

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas le sentir à côté d’elle. Il faut venir l’embrasser, mentir, raconter le bal du ministère, dire s’il y avait de jolies toilettes et avec qui il a dansé ; mais pour échapper à cette inquisition, surtout aux caresses qu’il redoute, tout imprégné du souvenir de l’autre, il invente un travail pressé, les dessins d’Hettéma.

— Il n’y a plus de feu ; tu vas avoir froid.

— Non, non…

— Au moins laisse la porte ouverte, que je voie ta lampe…

Il doit jouer son mensonge jusqu’au bout, installer la table, les épures ; puis assis, immobile, retenant son souffle, il songe, il se rappelle, et, pour fixer son rêve, le raconte à Césaire dans une longue lettre, pendant que le vent de nuit remue les branches qui craquent sans un froissement de feuilles, que les trains se succèdent en grondant et que La Balue, troublé par la lumière, s’agite dans sa petite cage, sautille d’un perchoir à l’autre avec des cris hésitants.

Il dit tout, la rencontre dans les bois, le wagon, son émotion singulière à l’entrée de ces salons qu’il avait vus si lugubres et tragiques