Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.
96
ROSE ET NINETTE

— Rien de bon, moussu le baron… »

Et, très calme, le mari de Séraphine raconta que dans le Monte Rotondo deux de ses mules, des bêtes magnifiques, avaient attrapé une grosse pluie d’orage, un coup de froid par là-dessus, et couic ! mortes toutes deux d’une pountoura ; il fallait les remplacer tout de suite, ou c’était le commerce arrêté, dans la saison, sa ruine et celle de ses frères. Mais où trouver tant d’argent que ça, pechère ? Alors il s’était pensé… Séraphine disait que Moussou était si bon pour elle !…

Pendant que l’homme parlait, ses petits yeux d’éléphant, perdus dans des plis de peau, fixaient sur le bras du fauteuil, où s’étalait le baron Rouchouze, le fichu de tête oublié par Séraphine. À mesure sa voix devenait plus âpre, presque insolente, malgré le doucereux des paroles ; et le baron, qui suivait ces regards et cette progression de menace, aussi ému par la présence de ce chiffon de soie que si le mari l’avait surpris avec sa femme sur les genoux, perdait la tête, bégayait de peur, s’informant de ce qu’il faudrait à son brave, à son excellent Palombo pour remplacer sa paire de mules.

« Houit cents francs, pas une escoude de moins. »

Ici le muletier, qui réservait son effet pour le grand moment, jeta la main en avant, et d’un ton sévère :