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ROSE ET NINETTE

manche… Tu crois que ce ne sera pas gentil de les reprendre ?

— Oh ! si… » soupira Fagan ; et, menteuses ou réelles, ces espérances adoucirent la séparation, les adieux dans la nuit profonde où il embrassait ses filles sans les voir.

Rose avait dit vrai. Quand il s’embarqua le lendemain sous une fine pluie mêlée à la poussière humide des embruns, la mer était énorme, démontée même au fond du port, la jetée disparue sous les lames, les quais inondés à tout moment de lourds paquets d’eau étalés jusqu’aux maisons où se réfugiait la foule en courant et riant. Des navires entraient, s’abritaient, voiliers, vapeurs, corailleurs, barques de pêche, quelques-uns avariés, tous fuyant le temps, l’horrible bataille des vents et des flots dont au loin s’entendait la continuelle canonnade ; et là-bas dans la rade on voyait s’avancer lentement un immense transatlantique qui, porté par les vagues grossies, semblait plus haut que les toits, comme en l’air.

Lorsqu’un paquebot de cette taille se détournait de sa route pour chercher un refuge, le Genéral-Sebastiani pouvait sans honte remettre son départ au lendemain ; mais pour cela il l’eût fallu commandé par un autre que ce petit homme noir et sec, à profil de dindon, arpentant sa passerelle de rageuses enjambées, les