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ROSE ET NINETTE

toi, ma sœur peut te le dire… Nous t’attendions depuis vingt bonnes minutes. »

La grande sœur ne répondit pas, pénétrée de ce que ce marchandage de minutes avait d’absurde et de cruel. Tous trois restèrent immobiles et transis, ne trouvant plus une parole. Jamais, comme en cet instant, sur ce rivage obscur et tourmenté, Régis de Fagan ne s’était senti si las de vivre et de lutter, de disputer ses enfants à cette femme. Tout renonçait en lui, et sa haine pour la mère, et sa passion pour ses bien-aimées. Son cœur de père cessait momentanément de battre ; et ce fut une minute mortelle, l’angoisse et le détachement suprême de l’agonie. Une caresse de Rose qui semblait le deviner, quelques phrases adroites de Ninette, le tirèrent de cette syncope morale, dont il garda désormais le souvenir et la crainte.

« C’est vrai, ma grande, ce que me dit Nina ? N’imaginez-vous pas cela pour rendre nos adieux moins pénibles ?

— Rien de plus vrai, mon père… M. Rémory a promesse d’un poste de substitut à Versailles. Alors, le mariage se ferait à Paris et tu aurais ta fille tout près de toi.

— Sans compter, ajouta Ninette, qu’avant peu cousin sera nommé conseiller d’État, et nous irons tous habiter là-bas… On se verra souvent… Hein ! nos bons déjeuners du di-